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L’Académie des dépendances formule des pistes de réflexion pour une politique des dépendances moderne

Édition n° 104
Mai. 2014
Alliances – les champs du possible

Académie des dépendances 2013. Pour la quatrième fois, des professionnel-le-s de la santé, du social, de la recherche et de la politique se sont réunis en août 2013 sur le légendaire Monte Verità au-dessus d’Ascona. Les échanges intensifs ont porté sur la compétence en matière de consommation entre responsabilité individuelle et responsabilité collective.

Au-dessus du Lago Maggiore, là où, au début du XXe siècle, un petit groupe de personnes avaient pratiqué des formes alternatives de vie et d’alimentation et expérimenté des substances psychoactives, les participant-e-s à l’Académie des dépendances 2013, organisée par le Groupe d’experts Formation Dépendances,  ont débattu de la liberté de consommation et de la responsabilité sociale, des possibilités et des limites d’une consommation compétente et recherché des approches de solutions. La discussion a porté notamment sur la notion de compétence en matière de consommation comme charnière entre les intérêts économiques et sanitaires. 80 spécialistes des dépendances et de la prévention (praticiens, chercheurs et  administratifs) ainsi que des représentant-e-s de la politique, de la justice/police, des médias, de la défense des consommateurs et de la culture  se sont penchés sur la manière de renforcer les ressources individuelles en les ciblant et de promouvoir un environnement socio-culturel compatible avec un mode de consommation compétent.
Le Groupe d’experts Formation Dépendances a réuni les différentes contributions présentées et en a dégagé quatre champs d’action pour le niveau individuel et quatre pour le niveau collectif. Ces pistes de réflexion doivent servir de base à des actions futures pour les institutions de prévention et d’aide aux personnes dépendantes, pour l’administration, des organes politiques et des organisations de la société civile.

Champs d’action au niveau individuel
Il faut encourager les compétences et les ressources personnelles et renforcer les différentes instances de socialisation importantes pour l’acquisition de  compétences en matière de consommation.
> Accroître la capacité de résistance dans la vie quotidienne – encourager les compétences de vie
Les programmes d’encouragement des compétences de vie ont largement fait leurs preuves en milieu scolaire et auprès des enfants et de jeunes adolescents. Ils font partie des approches les plus efficaces de la prévention comportementale des dépendances dans la mesure où ils retardent l’entrée dans la dépendance et réduisent en partie la consommation de substances. Leur efficacité est proportionnelle à l’implication du groupe cible dans la mise en œuvre de mesures et au soutien dont bénéficient les participants pour exercer les capacités acquises et les éprouver au quotidien.
> Soutenir les référents adultes dans la famille, à l’école et pendant les loisirs
L’influence de l’environnement d’éducation et d’encadrement des enfants et des adolescents est déterminante pour le développement de facteurs de risque et de protection en matière de  consommation problématique. Les référents adultes doivent être renforcés dans leur mission d’éducation et de transmission des compétences de vie. Le soutien doit porter en priorité sur la communication et le contrôle de règles adaptées à l’âge, que ce soit dans l’utilisation des médias électroniques, le comportement d’achat ou la consommation de tabac, d’alcool et d’autres substances psychoactives. Cette aide purement théorique doit être complétée par des aides concrètes à la décision, par exemple sous forme d’arguments ou de recommandations sur les quantités de consommation en fonction de l’âge. 
> Promouvoir la compétence de gestion des risques en osant le risque
La prévention basée sur la compétence au risque pose le risque en soi comme une expérience nécessaire au développement de l’être humain et comme un espace d’apprentissage important. La pédagogie du risque pratiquée par exemple par la méthode «Risflecting» ne veut pas éviter les risques, mais au contraire réduire les mises en danger dans des situations à risque en transmettant des stratégies pour aborder l’ivresse et le risque. Cette approche s’adapte aux contextes et aux groupes cibles dans lesquels le comportement à risque fait partie intégrante des modes de consommation quotidiens. L’idée est que, pour apprécier un risque correctement, il faut le connaître ainsi que ses possibles conséquences. Par ailleurs, la méthode de la pédagogie du risque mise sur la transmission d’habitudes visant à réduire les mises en danger.
> Soutenir l’apprentissage de la con­sommation dans le groupe de pairs
Dans la prévention des dépendances, l’éducation par les pairs (peer group education) présente un potentiel d’aide à la mise en place de compétences de consommation et de risque. L’action positive et formatrice des pairs permet de renforcer les processus d’apprentissage informels du groupe en matière de promotion de la santé et d’empêcher l’installation d’un modèle de consommation problématique. Toutefois, cette approche ne vaut que si les jeunes ne sont pas contraints d’adopter des règles du monde des adultes et s’ils peuvent transmettre les valeurs qu’ils considèrent importantes pour leur propre vie.  

Champs d’action au niveau collectif
La société dans son ensemble est invitée à limiter la tendance à l’individualisme et renforcer la solidarité collective: œuvrer tous ensemble à façonner un environnement propice aux bonnes décisions de consommation est fondamental.
> Créer un cadre de régulation cohérent
Partant d’un point de vue libéral, la politique doit créer un cadre légal cohérent, intégrant toutes les substances. Ce sera l’occasion de réévaluer le potentiel de nocivité des différentes substances, y compris celui des comportements nuisibles non liés à des substances. Une nouvelle politique des dépendances doit s’orienter à l’étendue des problèmes et tenir compte  des réalités sociales, et adopter une forme ouverte et souple, supportant des ajustements. Étant donné son statut de bénéficiaire des recettes provenant des impôts sur la consommation (tabac, alcool, jeux d’argent, etc.), l’État aura toujours un rôle ambivalent.
> Expérimenter de nouveaux modèles de régulation – Mettre en place des situations laboratoires et des projets pilotes
Pour améliorer une future régulation du marché,  de nouvelles approches pourraient être expérimentées dans le cadre de projets pilotes limités dans l’espace et le temps,  afin de disposer de solutions praticables qui pourraient être ensuite transposées à un niveau de réglementation supérieur. La structure fédérale de la Suisse est en soi idéale pour expérimenter, dans des laboratoires aux niveaux du canton, de la ville ou de la commune, divers modèles dans des contextes différents. L’évaluation complète de ces essais pilotes ainsi qu’un échange et transfert de savoir national permettraient d’optimiser les modèles et d’évaluer leur utilité dans la pratique. Des projets intéressants existent dans le domaine du cannabis (notamment à Genève, Bâle, Zurich et Berne).  
> Transformer le marché avec l’aide de la collectivité et des consommateurs
Afin que le choix le plus sain devienne l’option la plus séduisante, abordable et évidente, il faut promouvoir des environnements de vie sains. L’environnement économique, c’est-à-dire le marché, joue ici un rôle prépondérant. Pour transformer le marché, la pression venue du bas, c'est-à-dire la force du collectif et de l’opinion publique peut être très efficaces – en collaboration avec les acteurs économiques ou en s’y opposant. Le WWF a une longue expérience de ce genre de stratégies: des mesures et des campagnes publiques efficaces focalisent l’attention, accroissent la sensibilisation et influencent le comportement d’achat. Il est alors possible de lancer des produits ou des solutions de commercialisation différents pour introduire durablement une amélioration des structures de l’offre. (Voir l’interview des pages 6 et 7).
> Représenter plus efficacement les intérêts – Former des alliances
La collaboration entre professionnels des dépendances et de la prévention, milieux de l’économie et du commerce, et organisations à but non lucratif couvrant les secteurs de la consommation, de l’environnement, du social et des droits humains est un élément indispensable pour réussir la transformation du marché recherchée. Pour que ces alliances existent, il est tout aussi indispensable d’avoir défini au préalable, dans chaque domaine, des critères de partenariat en cohérence avec les objectifs de santé établis. Il existe déjà de bonnes approches dans le domaine de l’alimentation (actionsanté, alliances du WWF) ou des médias électroniques (Jeunes et Médias/OFAS). Lorsqu’une collaboration directe avec des producteurs et des prestataires est impossible dans un avenir proche, ou n’est possible ou souhaitée que de manière très limitée, des alliances avec des groupements d’intérêts de la société civile peuvent prendre le relais.

Liens

Contact

Lukas Vögeli, Groupe d’experts Formation Dépendances, lukas.voegeli@weiterbildungsucht.ch

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